Le terme « toxicité » émerge du langage confus par lequel les réseaux sociaux veulent être pensés

J'ai deux problèmes avec le terme « toxique » tel qu'on le voit sur les réseaux sociaux :

(1) Il me semble renvoyer à l'imposition par un adulte de ses besoins à un enfant qui ne peut ni les comprendre, ni les traiter ou y répondre (c'est un enfant).

(2) Son usage ne vise pas à désigner le plus précisément possible un ordre de problèmes restreints mais au contraire à être le plus large possible pour disqualifier autrui.

Dans toute relation, la seule réponse possible à « je crois que notre relation est toxique » est « mon Dieu, merci, je croyais que tu n'oserais pas faire le premier pas ». C'est un point de départ, votre relation vous fait du mal, maintenant il s'agit de prendre des décisions : cette personne vous fait-elle du mal car elle vous impose des besoins sans que ce ne soit dit ? Souhaitez-vous répondre à/prendre en charge ces besoins ?

Exemple de relation toxique : un jeune adulte a des problèmes d'organisation et un passif difficile avec ses parents, qui tentent donc de le contraindre à adopter des méthodes d'organisation potentiellement inadaptées à ses propres besoins. Comment résoudre cette situation ? En se rendant compte, d'un côté comme de l'autre, que l'on cherche à exprimer un besoin, qui est sans doute le même. En un quart d'heure, Youssef propose à ses parents d'acheter un agenda, ces derniers lui proposent de lui donner des méthodes d'organisation, et on met fin à 3 ans de relation toxique.

Un autre exemple, j'ai vu sur Twitter une personne bipolaire dire « je suis toxique ?? ». C'était il y a des années, mais j'aimerais lui répondre « Qui t'a dit ça ? Quels sont ses besoins ? Quels sont les tiens ? ».

Pour prendre deux autres exemples que j'étudie :

Incompréhensible : « Element est toxique. »

Clair et pertinent : « Element optimise pour l'engagement, ce qui tend à mettre des informations nécessairement inégales au même niveau, l'utilisateur souhaitant avant tout interagir avec l'interface. Par ailleurs, cette optimisation impose les besoins des investisseurs à l'utilisateur, et ce sentiment d'insatisfaction répétée le fait penser d'une manière qui crée de la violence, qu'il exprimera envers l'interface (de communication) et donc envers ses correspondants. »

Facilement discréditable : « Twitter est toxique. »

Plus crédible : « Les réseaux sociaux fournissent une interface web et des applications mobiles pour être omniprésents et s'intégrer à notre construction de la réalité souveraine de la vie quotidienne, c'est-à-dire (en ce qui nous concerne) à notre intériorisation psychique du social. Cela afin de modifier de manière plus efficace la manière dont on pense, de diminuer notre esprit critique à leur égard, et donc d'avoir plus d'emprise sur nos habitudes. Par ailleurs, Twitter comme tout média social profilant ses utilisateurs utilise nos névroses (peur de la mort, tribalisme) pour créer un sentiment de danger et donc une crainte d'y manquer quelque chose ; cette production émanant de l'interface et des stratégies déployées par ses utilisateurs dénaturés pour y arracher l'attention d'autrui (par exemple avec les QRT et le harcèlement en ligne), ces derniers tenteront, à leurs corps défendants, de stimuler ces névroses auprès de leurs proches. »

Vous l'aurez remarqué, parler de toxicité semble plus adapté au format court de Twitter ou d'Instagram, ou même de l'interface étrangement lente et buguée de composition d'une publication de Facebook encourageant à écrire le plus brièvement possible, c'est-à-dire non pas à être succinct mais à *penser* de la manière la plus vague et compressée possible.

Donnons un exemple en informatique : les développeurs utilisent un outil nommé vim, permettant d'exécuter des tâches courantes complexes sous Libreoffice en quelques touches. L'objectif n'est pas de gagner du temps mais de ne pas avoir à se concentrer sur ces tâches, qui deviennent simples, voire automatiques, pour se concentrer sur l'essentiel. Les contraintes de composition des médias sociaux ne sont pas des exercices de style libérant la créativité, c'est tout le contraire, non seulement une story Instagram ne peut objectivement pas prendre plus de quelques minutes de lecture, mais en plus ses utilisateurs vivront certains événements (par exemple de violences ou de discriminations) en les *pensant* d'une manière entièrement lisible en quelques minutes. Comment ces personnes seraient-elles capables de pondre une cinquantaine d'épisodes de podcast sur une passion pensée par segments de 150 mots ? Parler de toxicité, littéralement, est un meme, c'est l'irruption d'une forme d'expression délibérément appauvrie par les réseaux sociaux dans le réel, c'est penser ses relations dans le langage appauvri dans lequel les réseaux sociaux veulent qu'on les pense.

La « toxicité » reste un ressenti, confus, « confusionniste », mais bien réel sur une relation. Ce n'est pas un argument, cela ne désigne pas le problème à traiter ; c'est au mieux une demande d'aide pour le faire, mais pas le problème à corriger ou à reconnaître. Ce terme ne désigne aucune autre réalité que celle de cellui qui l'énonce.